
ORDONNANCE N° 2020-306 DU 25 MARS 2020 QUELLES CONSEQUENCES SUR VOS DOSSIERS DE VENTE ?
03 avril 2020
#Lexfair
Les mesures de confinement décidées par les autorités publiques pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ont inévitablement des conséquences sur le calendrier de signature des ventes immobilières.
En suite de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020, vingt-cinq ordonnances du 25 mars ont été publiées au Journal officiel du 26 mars 2020. Certaines dispositions intéressent particulièrement les ventes immobilières. C’est le cas notamment des dispositions de l’ordonnance n°2020-306.
Dans l’attente de précisions relatives aux conditions et aux effets de ladite ordonnance, il nous paraît utile d’examiner ses incidences sur la pratique notariale, et de relever certaines situations qui, à ce jour, ne peuvent être tranchées ou qui restent incertaines.
Notons que la loi du 23 mars 2020 a décrété l’état d’urgence pour une durée de deux mois à compter de son entrée en vigueur, soit le 24 mars 2020, jour de sa publication au Journal officiel, ladite loi étant « d’application immédiate » (articles 4 et 22). Ainsi, sauf à ce que cette durée soit modifiée, l’état d’urgence devrait donc prendre fin le 24 mai 2020, de sorte que la période dont il est fait référence à l’article 1 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 s’étend pour l’instant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020 (ci-après la « Période de Protection »).
Voici ci-après les questions qui nous ont été posées et auxquelles nous tentons d’apporter un éclairage en considération du droit positif actuel
1. Les délais stipulés aux termes de la promesse de vente sont-ils concernés par l’ordonnance ?
Les délais fixés aux termes d’une promesse de vente résultent des stipulations convenues entre les parties aux termes d’un contrat. Ces délais contractuels ne sont pas expressément visés par les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance.
Il convient dès lors de se reporter aux clauses de la promesse de vente qui peuvent organiser une prorogation automatique de la date de réalisation des conditions suspensives, de la date de levée d’option ou de la date de signature de l’acte authentique de vente.
2. Que faire en l’absence d’une telle clause ou si elle manque de clarté ?
À défaut d’une telle clause ou si cette clause manque de clarté, c’est aux parties qu’il revient de s’entendre. En l’état actuel du droit positif, il existe deux interprétations qu’on ne peut trancher à ce jour :
• La première partagée par certains est de dire que la suspension du délai légal emporte la suspension du délai conventionnel ;
• La seconde partagée par d’autres est de dire qu’il convient de distinguer délai légal et délai conventionnel, et que la suspension du premier ne saurait emporter la suspension du second.
Par ailleurs, d’autres encore proposent de faire entrer le délai de levée d’option ou le délai de signature dans le champ d’application de l’article 4 de l’ordonnance.
Dans l’hypothèse où les textes et précisions complémentaires attendus ne régleraient pas cette question dans un délai compatible avec l’expiration des délais de la promesse de vente, il nous semble que la prudence commande de régulariser un avenant de prorogation entre les parties. La prorogation conventionnelle des délais peut être décidée aux termes d’un acte sous seing privé, d’une lettre de prorogation ou d’un acte authentique. Cet accord devra viser clairement la date de levée d’option ou la date de réitération de la vente, ainsi que la date de réalisation des conditions suspensives le cas échéant. A défaut, la prorogation pourrait ne pas s’appliquer au délai de réalisation des conditions suspensives.
Quant à la durée de la promesse, il conviendrait à minima de prévoir « x » jours ouvrés à compter de la fin de la Période de Protection, au cas par cas, et au plus tard le « xx xx xx », en précisant que le report de la fin de la Période de Protection emporterait report automatique de la date butoir de la promesse pour le même nombre de jours calendaires.
Il est ici rappelé que si l’acte est en état d’être signé pendant la Période de Protection, et que la régularisation de cet acte remplit les exigences en matière de vente immobilière et les exigences de l’authenticité, rien ne s’oppose, sous réserve de respecter le formalisme lié aux procurations et la réglementation applicable aux mandataires, de maintenir la date initialement fixée pour la signature de l’acte authentique de vente.
3. Que faire si les parties ne s’accordent pas ?
Compte tenu de la situation exceptionnelle que nous traversons, nous ne pouvons qu’inviter les parties à la réflexion, la sagesse et la modération. Il convient de rappeler le devoir de bonne foi de chaque partie dans la négociation, la conclusion et l’exécution du contrat (art 1104 du Code civil). Le notaire, officier public, ne peut évidemment pas se faire juge de la difficulté qui surviendrait entre les parties, et seul un tribunal sera à même de trancher au cas par cas.
En outre, à défaut de pouvoir faire application de l’ordonnance, il y a lieu de se tourner vers les dispositions de droit commun, permettant notamment de suspendre des délais pendant toute la durée d’un événement, en opposant la force majeure de l’article 1218 du Code civil. Et bien que le texte ne vise que « l’exécution d’une obligation », il serait toutefois étonnant qu’il ne reçoive pas également application pour ce qui est imposé aux parties dans le cadre de la réalisation des conditions suspensives ou dans le cadre de la levée d’option ou de la réitération.
4. Que faire si l’une des parties entend renégocier le contrat ?
Il convient de se reporter aux clauses de la promesse de vente, et de voir si les parties ont, ou non, renoncé à l’application des dispositions de l’article 1195 du Code civil. En cas de renonciation, il est relativement clair que la partie a expressément renoncé à une renégociation du contrat au nom d’un changement imprévisible des circonstances qui en rendrait l’exécution excessivement onéreuse (art 1195 du Code civil).
Dans cette hypothèse, il serait peu probable qu’un juge accueille la demande.
5. Quels délais seraient dès lors concernés par l’ordonnance ?
Aux termes de ses articles, l’ordonnance vise les délais légaux et réglementaires.
Ainsi seraient notamment concernés par les dispositions de l’ordonnance, sans que cette liste soit exhaustive :
• Le délai d’opposition du syndic de copropriété à compter de la réception de l’avis de mutation
• La délai de publicité des sûretés
• Le délai de recours à l’encontre d’une décision d’assemblée générale en copropriété
• Les délais octroyés aux personnes publiques ou privées visées à l’article 6 de l’ordonnance (État, collectivités territoriales, établissements publics administratifs, organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif) ; cas du droit de préemption urbain, du droit de préemption de la Safer
• Les délais de recours à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme
• Les délais d’instruction des autorisations d’urbanisme en cours le 12 mars 2020
• Les délais de contestation de la conformité pour les DAACT déposées avant le 12 mars 2020
• Le délai des mesures administratives ou juridictionnelles ; cas du délai de validité des autorisations, permis et agréments
• Le délai relatif à la résiliation de conventions : cas de la résiliation d’un bail
• Les délais de prescription
En outre, les effets des clauses organisant les sanctions d’une défaillance contractuelle seraient neutralisés. Exemple : cas des clauses pénales, clauses résolutoires.
Nous pouvons aussi penser aux documents du Dossier de Diagnostic Technique (DDT). Les durées de validité des diagnostics sont-elles concernées par l’ordonnance ? A ce jour, il n’y a pas de réponse explicite. Néanmoins, s’agissant d’une durée légale de validité, il n’existe pas non plus de raison particulière qui les exclurait. Reste à savoir quelle serait la durée du report, certainement deux mois. Il serait confortable d’obtenir une précision sur ce point.
6. Est-ce que tous les délais visés ci-dessus peuvent bénéficier de l’application de l’ordonnance ?
La réponse est non. Aux termes de son article 1, l’ordonnance vise uniquement les « délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ».
Ne sont donc pas concernés les délais qui ont expiré avant le 12 mars 2020 et ceux qui expireront après le 24 juin 2020.
7. Existe-t-il des « cas incertains » ?
Il demeure à ce jour des cas incertains, tels que :
• Le délai d’exercice de la faculté de rétractation de l’article L 271-1 du Code de la construction et de l’habitation ainsi que le délai de réflexion
• Le délai d’exercice d’un droit de préemption personnes privées (habitation, PINEL)
• Le délai d’obtention d’un financement loi « Scrivener »
Plus généralement à ce jour, toutes les hypothèses dans lesquelles une personne dispose d’un certain délai pour donner un accord ou un consentement, sans qu’il résulte du silence gardé par elle une sanction ou la perte d’un droit, est un « cas incertain ».
Pour la sécurité juridique des actes, la prudence commande que le bénéficiaire d’un droit dans un tel cas donne son consentement par une déclaration expresse avec renonciation au bénéfice du délai supplémentaire accordé par l’ordonnance.
• Comment s’applique le « report de délai » octroyé par l’ordonnance ?
Aux termes de son article 2, l’ordonnance ouvre à l’expiration de la Période de Protection, un délai égal au « délai légalement imparti pour agir » mais sans pouvoir excéder deux mois, soit à ce jour, le 24 août 2020. Il s’agit d’une suspension de délai.
Prenons l’exemple d’une DIA :
Pour une DIA déposée en mairie le 10 mars 2020, le délai de préemption a été suspendu le 12 mars et reprendra pour le temps restant à courir à la fin de la Période de Protection.
Il n’en demeure pas moins qu’une renonciation expresse du titulaire du droit de préemption reste valable pendant la Période de Protection.
• Qu’en est-il d’un délai qui aurait commencé à courir entre le 12 mars et le 24 juin 2020 ?
Dans cette hypothèse il n’y a pas à proprement parlé de suspension de délai puisque le délai n’a pas commencé à courir. Dès lors, le délai sera ouvert à compter de la fin de la Période de Protection pour le délai initial.
Reprenons le cas d’une DIA déposée en mairie entre le 12 mars et le 24 juin, le délai de deux mois de l’article L. 213-2 du Code de l’urbanisme commencera à courir à la fin de la Période de Protection et arrivera à expiration le 24 août 2020. Il n’en demeure pas moins que rien n’empêche le vendeur d’adresser au titulaire du droit de préemption la déclaration d’intention d’aliéner pendant la Période de Protection et que rien n’empêche le titulaire de ce droit de formuler une renonciation expresse pendant cette période.
• Qu’en est-il d’un délai arrivant à échéance très peu de temps après l’expiration de la Période de Protection ?
La prudence voudrait, pour tous délais ou mesures arrivant à échéance rapidement après la fin de la Période de Protection, qu’il soit sollicité, lorsque cela est possible, une prorogation expresse de délai. Cela pourrait être le cas d’un permis de construire dont le délai de validité arriverait à échéance rapidement après la fin de la Période de Protection.
Comme vous pouvez le constater, l’ordonnance n°2020-306 ne permet pas de répondre précisément à toutes les questions pratiques posées en matière de vente immobilière. Les délais contractuels semblent presque oubliés. Peut-être est-ce une manière d’affirmer le caractère supplétif des textes édictés dans l’urgence et de faire prévaloir en toute hypothèse les conventions des parties ? Dans une pratique habituelle, c’est une flexibilité bien appréciée dans la limite de l’ordre public, mais dans cette période d’urgence avons-nous vraiment le temps de prendre le temps de régler les difficultés des délais contractuels inévitablement liés aux délais légaux et réglementaires ?
Bien entendu cette note est « à jour de ce jour », et nous restons dans l’attente de précisions avec notamment une loi de ratification en cours d’élaboration. Le notaire n’est ni législateur, ni juge, mais il se doit à notre sens d’avoir une participation active. A cet effet, nous sommes en contact constant avec nos instances, le CRIDON, les Centres de formation et les professeurs de droit servant de relais auprès du législateur, et nous ne manquerons pas de vous tenir informés de la suite des événements.
Dans cette attente, #RESTEZ CHEZ VOUS #RESTONS ENSEMBLE
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Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755644&dateTexte=20200402